PHOTOS & PASSIONS

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Autobiographie (enfance volée)


     

 

 

Mon nom est Antonio MARTINEZ-QUIRCE.

Depuis de nombreuses années j'ai pour passion la photo et c'est ce qui m'a encouragé à partager mes images à l'aide de ce "blog".

Je ne suis qu'un modeste amateur n'ayant pas la prétention d'exposer des images pouvant rivaliser avec celles des professionnels. Certains d'entre vous aimeront peut-être et d'autres pas. A vous de voir et de me donner votre avis en toute sincérité.  

Mais aussi, parce que la vie des morts est dans la mémoire des vivants, j'ai voulu transmettre avec mes modestes moyens, mon témoignage sur ce que fut la vie d'un fils de républicain espagnol que la France allait en faire un des siens mais sans jamais pouvoir lui faire renier ses racines.

 

 

 

Je suis né en Espagne en 1937 en pleine guerre civile et orphelin de père, celui-ci ayant été tué au combat cinq mois avant ma naissance.  

 AMG_militaire.jpg

 

 

Mon père, 12 mois avant sa mort au combat  

 

 

 

"Les mères des soldats tués sont juges de la guerre" (Bertolt Brecht)

 

             

Début février 1939, chassés d'Espagne par l'avancée des troupes franquistes, je suis arrivé en France dans les bras de ma mère. J'avais 13 mois!

 

 



Españolito que vienes al mundo

 

"Ya hay un español que quiere
vivir y a vivir empieza,
entre una España que muere
y otra España que bosteza.

Españolito que vienes
al mundo te guarde Dios.
una de las dos Españas
ha de helarte el corazón."
Antonio Machado
 
 

Près d'un demi million d'espagnols craignant à juste titre les représailles franquistes, franchirent la frontière pyrénéenne. Cette énorme masse humaine comprenait       270 000 militaires et près de 180 000 civils, parmi lesquels 68 000 enfants et 63 000 femmes. L'hospitalité que les autorités françaises leur réservèrent restera comme une page sombre dans la mémoire de tous ceux qui vécurent ce lamentable exode, et aura peut-être été une rude leçon pour ceux qui virent surgir dans leurs villes, dans leurs campagnes, ces hordes déguenillées, épuisées, apeurées, traînant avec elles des bribes de leurs biens.

 

Après un bref passage dans des camps de contrôle, hommes, femmes, enfants furent dirigés vers les camps de concentration installés tout le long de la côte Vermeille où rien n'avait été prévu pour les héberger. Ces êtres fourbus, à bout de nerfs, qui avaient cru trouver en France un havre de paix après les souffrances qu'ils venaient d'endurer, perdirent bien vite leurs illusions. Pour  la plupart, ils vécurent dans des conditions d'une extrême précarité sur les plages du littoral méditerranéen, sans abri, chichement nourris, parfois traités comme des troupeaux de bêtes.

  

  Au début du mois de mars 1939, selon les statistiques officielles de l'époque, la population de ces pénitenciers de plein air atteignit 236 000 personnes. Elle se ventilait comme suit:

  Argelès   (30 000);  Saint-Cyprien  (60 000);  Le Vernet  (5 000); Gurs (16 000);

  Bram  (16 000); Marères (5 000); Agde (16 000); Septfonds (15 000); Vernet (13 000).

  Quant aux conditions de vie qui prévalurent dans ces camps, un rapport officiel français, rédigé par le médecin-général Peloquin du cadre de réserve apporte un témoignage irrécusable:

« Entre le 18 et 19 février se pressaient 60 à 65 000 personnes à Argelès,       95 000 à Saint-Cyprien et Prats de Mollo.

Les camps d'Argelès et de Saint-Cyprien, établis sur les plages bordant ces localités, étaient gardés du côté de la terre par des troupes coloniales.

Sur la plage d'Argelès, afin de se protéger des tourbillons de sable, les internés avaient construit avec des roseaux arrachés sur place de petits abris individuels.

A Saint-Cyprien, des excavations avaient été creusées, à même la plage, mais celles-ci étaient si peu nombreuses que la plupart des réfugiés dormaient à la belle étoile, endurant les basses températures de la saison et une forte hygrométrie.

A Prats de Mollo quelques huttes de branchages avaient pu être dressées : une dérision, compte tenu des milliers de personnes sans refuge.

Pas d'eau courante : tout au plus y avait-il quelques pompes de fortune puisant l'eau d'une nappe souterraine pouvant être polluée à tout moment en l'absence d'installations sanitaires.

(voir ma rubrique La Retirada)

 

 Après le passage dans des "centres d'accueil", des familles entières seront séparées et dispatchées dans diverses régions de France, les hommes restant dans les sud. Leur exil commençait dans le wagon d'un train qui roulait de nuit vers une destination inconnue, avec sa cargaison d'êtres humains dépouillés de tout, sauf de leur dignité et de leur orgueil.

 

 

 C'est  dans ces conditions qu'après un très long voyage en train (deux jours et deux nuits), ma grand-mère, ses cinq filles dont ma mère, et ses six petits enfants dont j'étais le tout petit (une petite cousine n'allait pas survivre et fut enterrée à Brest), nous nous sommes retrouvés dans des camps situés en Bretagne. Tout d'abord au Conquet dans une colonie de vacances dénommée "Beauséjour" et ensuite à Plougonvelin,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Après quelques mois nous étions tous transférés à Poulgoazec sauf une de mes tantes qui ne supportant plus la douleur d'avoir perdu sa fille demanda à repartir en Espagne en espérant revoir un jour son mari.

 Enfin pour finir cet épisode des jours les plus douloureux de l'histoire de l'exode des républicains espagnols nous avons été transférés  à l'Ile Tudy . Ce dernier internement était situé dans une usine désaffectée dont voici le témoignage de ma mère aujourd'hui décédée, je cite:

 

 

« C'était une usine qui n'avait pas de vitres, où l'eau rentrait partout. Il y avait beaucoup de réfugiés et pour les WC, ils avaient fait une tranchée avec quelques planches dessus, et un jour une vieille tomba dedans. C'est là-bas que nous faisions notre toilette. Nous avions un cuisinier espagnol et tout le monde mangeait bien, mais nous autres, toujours en deuil et toujours tristes, nous mangions peu.

Et là, il y avait cette demoiselle Clara, une infirmière qui me prit en amitié car moi j'étais la plus malheureuse de toutes avec mon enfant tout petit, que je nourrissais au sein. Et c'était moi qui l'aidais à laver les pansements de tous les réfugiés et à préparer les biberons. Elle m'avait à la bonne mais moi je travaillais. Mais pourquoi elle ne le donnait pas à faire aux autres qui n'avaient pas d'enfant à nourrir au sein.

Moi, je lavais les pansements parce que comme cela j'avais du savon pour laver les choses de mon enfant. Autrement, nous n'avions pas de savon pour nous laver. »                     

 

Inutile de préciser l'extrême précarité dans laquelle tous ces pauvres gens se trouvaient.

 

Il faut pourtant souligner que  là, furent appréciés les premiers signes de solidarité démontrés par les bretons, ce qui améliora le moral des réfugiés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 1er février 1939, le sous-préfet de Brest envoyait le compte rendu suivant au cabinet du Préfet du Finistère:

J'ai l'honneur de vous faire connaître que les 201 réfugiés espagnols sont arrivés en gare de Brest, à 12h45. Ils ont été vaccinés, nourris, passés sous la douche et dirigés suivant la répartition ci-dessous:
22 cas de gale ont été constatés, les malades ont été séparés pour être traités immédiatement. Aucun incident à signaler.
Le Conquet - colonie de vacances de Beauséjour 53
Plougonvelin - colonie de vacances de Berthaume 97
Lesneven  11
Brignogan 15
Plouider 7
Le Tréhou 9
Loperhet 5
La Roche-Maurice 4
         Total: 201

 39 Bertheaume 1.JPG

 

 39 bertheaume 2.JPG

 

 

Dés septembre c'est la deuxième guerre mondiale qui éclatait ! Les espagnols n'avaient pas fini de souffrir.

 

 

Peu à peu les camps se vidèrent. Ma famille, (grand-mère, trois tantes, quatre cousins, ma mère et moi) allait trouver hébergement et travail à Audierne.

 

 

                            

 

 

 

                                           

 

 

 

 

                                      

 

                                               (Le port d'Audierne)

 

 

                                                          (Ci-dessus, l'entrée de la "maison" où nous logions)

 

La même maison photographiée par moi même en septembre 2012

 

Des fenêtres de cette usine les ouvrières nous jetaient des pois gourmands pour notre plus grand plaisir

 

 

Les mauvaises conditions de vie dans les camps avait considérablement affaibli l'état de santé de ma mère. Elle avait trouvé un emploi dans un bar de la plage qui s'appelait "La Potinière" où le travail n'était pas trop dur mais il lui fallait faire le trajet à pied d'environ trois kilomètres, et très souvent sous la pluie et le vent. Elle toussait de plus en plus et pour finir, fut hospitalisée pendant plus d'un an à l'hôpital de Quimper. Ce furent mes tantes et ma grand-mère qui me prirent en charge.

 

                      (ci-dessus 2 de mes tantes, mes cousins et moi  - Audierne)

 

                        (2 cousins parfaitement intégrés à leur nouveau pays)

( pour mes tantes cette photo prouve que le costume breton leur allait très bien)

 

A sa sortie de l'hôpital, ma mère me reprit avec elle et nous allâmes vivre à Douarnenez car elle avait trouvé un travail de femme de ménage chez des commerçants. C'est dans cette ville que je suis allé à la maternelle pour la première fois. Nous y sommes restés que très peu de temps car les patrons la traitaient plutôt en esclave qu'en ouvrière. Ce fut d'ailleurs le fils de ces gens, un curé, qui conseilla à ma mère de partir.

Après six ans de veuvage, cette dernière trouva un nouveau compagnon pour refaire sa vie. Cet homme allait devenir mon père nourricier.

Par la suite nous allions vivre à Brest, rue Émile Zola. Mais à peine installés il fallut fuir à cause des terribles bombardements qui d'ailleurs anéantirent une bonne partie de la ville dans les jours qui suivirent notre départ. Je garde encore le souvenir du bruit des bombes et des éclairs de la DCA.

 

                    (Ma mère et moi à Brest)

 


Rue Émile Zola avant les bombardements

 

La rue Émile Zola après les bombardements

(Images d'archive aimablement transmises par:

             Mrs. Georges PERHIRIN  et Ollivier DISARBOIS  "Nos Souvenirs d'hier")                 

 

 

 

Ce nouveau déménagement, le 15 mars 1944, allait nous conduire à Pont l'Abbé au Manoir de Treouguy où mon frère naquit le 12 mai 1944.


          (Le Manoir de Treouguy - photo que j'ai faite en novembre 1974)

 

Nous n'étions pas devenus châtelains !

Mes parents étaient employés de maison et nous logions dans deux pièces situées juste au-dessus de la cloche. Je garde un très bon souvenir de la charmante dame qui devait être sans doute la propriétaire. C'est avec elle que j'ai dégusté mes premières crêpes et galettes. Ah qu'elles me semblaient délicieuses !

Hélas, les bonnes choses ne durent jamais et vers fin de l'année 1944 il fallut se résigner à quitter cet endroit qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, tant j'avais passé d'agréables moments.

 

Adieu manoir, nous allions vivre à quatre dans un local de 20 m²,  tout près de l'hôtel du "Lion d'or" situé au centre de Pont l'Abbé. Nous survivions tant bien que mal. De cet endroit je garde le souvenir d'une fête qui me paraissait grandiose. C'était le jour de la "Fête Dieu". Toutes les rues étaient recouvertes de dessins réalisés avec de la sciure teintée de différentes couleurs (enfin je crois que c'était de la sciure!). Je m'étais fait copain du fils du charbonnier (il portait le nom d'un célèbre alcool). Courant l'été de cette année, mon petit frère faillit succomber à une septicémie. Heureusement qu'il réussit à guérir assez rapidement.

 

 

Le 25 novembre 1944 mes deux oncles, Antonio et Joaquin, emprisonnés jusque là dans les geôles franquistes étaient fusillés à Victoria (pays basque). Leur crime......ils étaient républicains !

 

 

 

 

 

 

 

 Notre séjour en Bretagne s'acheva quelques mois après la fin de la guerre car dés 1945, la plupart des familles espagnoles pensant à tort que le régime Franquiste allait s'effondrer du fait de la victoire des alliés, se rapprochèrent de la frontière franco-espagnole. Certaines s'installèrent au pays Basque, d'autres à Bordeaux, Tarbes, Perpignan......pour nous ce fut Toulouse-Blagnac. Une autre vie commençait mais en ce qui me concerne j'allais garder pour toujours une affection pour tout ce qui était relatif à la Bretagne.

 

 

                          Mon frère et moi à notre arrivée à Toulouse

 

A cette époque la France allait reconnaître et honorer les combattants espagnols qui avaient donné leur vie pour elle. De nombreux monuments allaient être édifiés en souvenir de leurs sacrifices puis peu à peu on allait les oublier. Heureusement, depuis ces quelques dernières années, des historiens, des journalistes et plusieurs élus remémorent certains actes héroïques accomplis par les républicains espagnols.

 

               Monument situé au cimetière du Père Lachaise à Paris

 

 

             Plaque commémorative située à Pau. Citation de Charles De Gaulle.

 

 

 

Cliquez sur le drapeau pour écouter les chants de la guerre d'Espagne



27/02/2006
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